Bernard Maurel : « Il n’est pas trop tard pour sauver l’Anglo »

Élevage National
Cet article a été publié le : 02 février 2017 à 9h43

A la une du THM (un nouveau magazine équestre Australien) de décembre / janvier, il y avait un gros dossier sur « le succès des complétistes Français : pourquoi ? ». Avec plusieurs interviews d’éleveurs, de cavaliers et d’institutionnels, ça aurait été dommage de passer à côté ! Nous l’avons donc fait traduire aux élèves du Master Rédacteur/Traducteur UBO à l’Université de Bretagne Occidentale pour vous livrer la version en Français :

Quelques pensées de Bernard Maurel pour conclure. Il a été, de 1995 à 2000, le directeur de Pompadour, le Haras national qui se consacre à l’élevage des Anglo-arabes. C’est le centre historique de la race Anglo-arabe. Son origine remonte à presque mille ans. Le premier château a été construit en 1026. Louis XV acquit le domaine en 1745 et l’offrit à sa maîtresse, Madame Le Normant d’Etiolles, avec le titre qui l’accompagnait : Marquise de Pompadour. Même si elle n’y a jamais vécu, la Marquise avait fait installer un élevage de chevaux Arabes et Barbes même si ce croisement s’est révélé être un échec.

Elle perdit les faveurs du roi et vendit la propriété en 1760. Cela déplut à Louis qui racheta Pompadour et transforma le domaine en haras royal. Le sort du Haras a fluctué mais il était de nouveau opérationnel en 1872 et abritait des étalons pur-sang ainsi que des étalons Arabes et Anglo-arabes.

C’était également le seul Haras national en France qui avait, en plus des étalons, une jumenterie d’une quarantaine de juments Arabes et Anglo-arabes.

L’Anglo-arage est né à Pompadour grâce à M. de Bonnebal, l’un des premiers directeurs, et à M. Gayot, qui a organisé le stud book. Malheureusement, comme tous les autres Haras nationaux, Pompadour a dû fermer son centre technique en 2015. Mais la jumenterie existe toujours, avec seulement 25 juments, et se consacre aux chevaux de compétition. C’est donc toujours un lieu important pour la production d’Anglo-arabes et les concours d’élevage, mais qui propose également des courses, concours et ventes aux enchères. Le Haras national de Pompadour est désormais membre du nouvel Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), un établissement public qui a résulté de la fusion des Haras nationaux avec le Cadre noir de Saumur.

Ces jours-ci, Bernard est plutôt actif comme juge international de dressage et enseignant à l’École nationale d’équitation de Saumur, mais la passion pour l’Anglo-arabe est loin d’être éteinte : « Votre analyse est parfaitement juste… Mais vous savez que la sélection d’une race prend au minimum deux générations et que dans le sport, l’intervalle entre les deux est autour de 9/10 ans. En 2000, l’ANAA était plus motivée à recevoir des subventions du gouvernement qu’à promouvoir l’élevage et qu’à aider les éleveurs à trouver la meilleure organisation économique pour produire et vendre leurs chevaux. Bien sûr, ils ont fait beaucoup de changements et sont toujours actifs dans les concours d’élevage et le soutien aux activités qui leurs sont liés, bien que l’association repose maintenant sur un petit nombre d’éleveurs passionnés. »

« Plutôt que de sélectionner les chevaux pour le complet ou la course d’obstacles, et donc d’avoir un certain type de chevaux, intelligents, coopératifs et athlétiques, ils suivaient le marché du saut d’obstacle et ouvraient le stud-book de l’Anglo-arabe à des races étrangères. Ils ont donc perdu la spécificité de la race et ne se sont pas concentrés sur la race Anglo et sur le soutien aux éleveurs. Je ne parle pas de croisements directs en faisant appel à des étalons de l’extérieur, mais de préserver les vieilles lignées et la catégorie du stud-book qui n’acceptait aucune autre race que l’Anglo-arabe, le pur-sang et l’Arabe dans les ascendants à quatre générations. On peut comprendre que pour vendre la descendance, il peut s’avérer utile de croiser avec d’autres races (SF, Holsteiner ou autres). Mais avant tout, vous devez préserver la race, et les efforts (ainsi que les subventions s’il y en a bien sûr) doivent se concentrer sur cette priorité. »

« Il est évident que cette évolution n’était pas la meilleur stratégie pour mettre en valeur les anciennes lignées. La même chose est arrivée pour le selle français, mais ils ont eu l’intelligence de produire, il y a quelques années, le SF originel afin d’éviter la perte de ses spécificités par des croisements avec tous les étalons du moment des autres stud books européens. Il existe toujours quelques lignées de juments Anglo-arabes extraordinaires, mais si on les croise avec trop d’étalons étrangers, on n’est pas loin de perdre les principaux producteurs mâles et femelles. »

« Si vous regardez les étalons du Guide de l’Éperon (j’ai participé à la sélection en dressage) pour le complet, vous trouverez sur les 14 étalons sélectionnés, seulement deux AA (Quercus du Maury et Fango in Blue que j’ai encouragé) et deux AACR, dont le célèbre Upsilon et son demi-frère Tenareze qui a des ascendants AA, PS ou AR sur trois générations. En saut d’obstacles, il y a Nathan de la Tour, King Size, le vieux Fusain du Defey, Orient du Py qui ont tous un super pédigrée mais ne suivent pas vraiment la tendance des croisements européens… ! »

« Peut être que c’est dû à la pression du marché et à la crise économique de 2007-2008 (avec une diminution flagrante de la production européenne de chevaux de compétition) qui ont poussé les éleveurs à chercher un retour sur investissements immédiat et leur a fait oublier l’importance de la sélection pour conserver les spécificités d’une race ? »

Est-ce trop tard, peut-on sauver la race ?

« Trop tard ? NON, parce qu’il y a encore beaucoup d’éleveurs d’Anglo-arabes compétents et passionnés. Est-ce qu’on peut sauver la race ? OUI, grâce au réseau international, avec plus d’attention portée sur la spécificité de l’image et des capacités. »

Il faut l’espérer. Que la race disparaisse, juste au moment où l’Anglo-arabe se révèle être une partie importante du couple cheval/ cavalier de complet moderne, laisserait un goût amer.

Relire les articles précédents :

Enquête de Christopher Hector, Traduit de l’Anglais par Florence Boscher, Jean-Marie Caroff, Coralie Fournier et Anne Burkel-Gibaud

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Pour en savoir plus sur l’université Bretagne Occidentale https://www.univ-brest.fr/RT